Arrest de la Cour du Parlement,
Qui condamne Jean Poirier, Laboureur, à faire amende honorable au-devant de la porte de la principale Eglise de la Ville d’Angoulême, ou il sera conduit par l’Exécuteur de la Haute-Justice, dans un tombereau, nuds pieds, nue tête, & en chemise, tenant en ses mains une torche de cire ardente du poids de deux livres, ayant la corde au col & écriteau devant & derrière portant ces mots ( Empoisonneur de ses beau-pere & belle-mere; ) ensuite mené en la Place publique de ladite Ville d’Angoulême, pour, sur un échafaud qui y sera dressé, y être rompu vif, & de fuite jetté au feu pour y être réduit en cendres, & ses cendres jettées au vent.
Extrait des registres du Parlement.
Du seize Juin mil sept cent soixante-dix-huit.
Vu par la Cour le procès criminel encommencé en la Justice de Manles, à la requête du Procureur Fiscal de ladite Justice, & depuis continué, fait & parfait par le Lieutenant Criminel de la Sénéchaussée d’Angoulême, à la requête du Substitut du Procureur Général du Roi. audit Siège, demandeur & accusateur, contre le nommé Jean Poirier, Laboureur, défendeur & accusé, prisonnier ès prisons de la Conciergerie du Palais à Paris; & encore contre René Tournier & Jacques Binaud, Chirurgiens à la Rochefoucault, & Antoine Boisset, Chirurgien au Bourg de Manles, aussi défendeurs & accusés; ledit Jean Poirier appellant de la Sentence rendue sur ledit procès le trente-un Mai mil sept cent soixante-dix-sept, par laquelle il a été ordonné, avant dire droit, que ledit Jean Poirier seroit appliqué à la question ordinaire & extraordinaire, preuves tenantes. L’Arrêt de la Cour du 14 Juillet 1777, par lequel, avant faire droit sur l’appel interjetté par ledit Jean Poirier de ladite Sentence, il a été ordonné qu’à la requête du Procureur Général du Roi, poursuite & diligence de son Substitut en la Sénéchaussée d’Angoulême, les nommés René Tournier, Antoine Boisset & Jacques Binaud qeroient assignés pour être ouis & interrogés pardevant le Lieutenant Criminel de ladite Sénéchaussée d’Angoulême, sur les faits résultans des charges, informations & autres sur lesquels ledit Substitut voudroit les faire entendre; lesdits Tournier, Binaud & Boisset, ainsi que ledit Jean Poirier, accusé, récolés sur leurs interrogatoires, & si besoin étoit, confrontés les uns aux autres par devant ledit Juge, il a été permis audit Substitut de requérir & au Lieutenant Criminel d’ordonner qu’il seroit publié Monitoires en forme de droit, tant dans les paroisses de la ville d’Angoulême que dans celles de Manles & la Rochefoucault; comme aussi ledit Lieutenant Criminel a été autorisé à entendre en dépositions les témoins qui pourroient venir à révélation, ensemble les Apothicaires, Epiciers autres personnes vendant de l’arsenic dans la Ville de la Rochefoucault, à l’effet par ces derniers de déclarer si, dans le courant de Mai & Juin 1776, ils n’ont point vendu de l’arsenic audit Jean Poirier; à récoler lesdits témoins sur leurs dépositions, & à les confronter, si besoin étoit, tant audit Poirier, qu’auxdits Tournier, Binaud Boisset, accusés; à l’effet de quoi ledit Poirier seroit transféré, sous bonne & sûre garde, des prisons de la Conciergerie du Palais en celles de la Sénéchaussée d’Angoulême, pour l’instruction ci dessus ordonnée, faite, expédition d’icelle apportée au Greffe criminel de la Cour, ledit Jean Poirier pareillement ramené, sous bonne & sûre garde, desdites prisons d’Angoulême en celles de la Conciergerie du Palais, le tout communique au Procureur Général du Roi, être par lui pris telles conclusions qu’il appartiendroit, &, vu par la Cour, être ordonné ce que de raison. Le réquisitoire du Substitut du Procureur Général du Roi en la Sénéchaussée d’Angoulême, du 19 Août 1777, à fin d’exécution dudit Arrêt en tous ses points & dispositions de permission en conséquence d’obtenir & faire publier Monitoire en forme de droit, faire entendre tous révélans & autres personnes indiquées par ledit Arrêt, lesquels témoins seroient répétés en leurs dépositions, &, si besoin étoit, confrontés aux accusés, pour, toutes lesdites instructions faites, être envoyées au Greffe de la Cour, & ledit Poirier transféré des prisons de ladite Ville d’Angoulême en celles de la Conciergerie du Palais. L’Ordonnance du Lieutenant Criminel de ladite Sénéchaussée d’Angoulême, du 21 du même mois, conforme auxdites conclusions. L’interrogatoire subi pardevant ledit Lieutenant Criminel le 11 Septembre fuivant par René Tournier : l’exoine présenté par Jacques Binaud, âgé de quatre-vingt-dix ans, certifié le même jour 11 Septembre par deux Chirurgiens de la Ville de la Rochefoucault : le Monitoire décerné en l’Officialité d’Angonlême le 18 Octobre suivant : le certificat de publication dudit Monitoire par le Curé de Manles, du 28 Octobre 1777, contenant une révélation : l’interrogatoire subi devant ledit Lieutenant Criminel par Antoine Boisset, le 4
Décembre 1777 : le réquisitoire dudit Substitut à fin de transport en la Ville de la Rochefoucault, attendu l’exoine dudit Binaud, pour y faire subir interrogatoire audit Binaud, & procéder aux opérations ultérieures ordonnées par l’Arrêt de la Cour du 24 Juillet précédent : l’Ordonnance du Lieutenant Criminel d’Angoulême étant ensuite, du 6 dudit mois de Décembre, conforme audit réquisitoire : l’interrogatoire dudit Jacques Binaud, subi devant ledit Lieutenant Criminel d’Angoulême en la Ville de la Rochefoucault le 9 dudit mois de Décembre : l’information par addition faite le lendemain & jours suivans en la Ville de la Rochefoucault : le récolement desdits témoins en leurs dépositions, dudit jour 10 Décembre & jours suivans : le récolement des accusés en leurs interrogatoires, du même jour 10 Décembre & jours suivans : la confrontation des témoins à Jacques Binaud, accusé, aussi du même jour 10 Décembre & jours suivans : l’interrogatoire subi par Jean Poirier le 11 dudit mois de Décembre : la confrontation des témoins audit Jean Poirier, accusé, dudit jour 11 Décembre 1777, & les confrontations respectives des accusés, du 12 du même mois : l’arrêt de la Cour rendu sur le vu du procès le 27 Mars 1778, par lequel il a été ordonné que dans quinzaine à compter du jour de la signification qui seroit faite dudit Arrêt auxdits René Tournier, Antoine Boisset & Jacques Binaud, accusés, ils seroient tenus de se rendre aux pieds de la Cour pour le Jugement de leur procès; sinon & à faute de ce faire dans ledit tems, & icelui passé, il a été ordonné qu’il y seroit procédé tant en leur absence que présence, suivant & au desir de l’Edit du mois de Juillet 1773 : les significations faites dudit Arrêt auxdits René Tournier, Antoine Boisset & Jacques Binaud, accusés, par exploits des 22 & 23 Avril 1778 : le certificat de Fremin, Greffier de la Cour, de cejourd’hui 16 Juin 1778, qui constate que lesdits Tournier, Boisset & Binaud ne se sont point rendus aux pieds de la Cour pour subir leur dernier interrogatoire avant le Jugement. Conclusions du Procureur Général du Roi, lequel comme de nouvel venu sa connoissance, a requis d’être reçu appellant à minimâ de la Sentence du 31 Mai 1777. Oui & interrogé en la Cour ledit Jean Poirier fur fes caufes d’appel & cas à lui imposés : Tout considéré.
La Cour reçoit le Procureur Général du Roi appellant a minimâ de la Sentence de la Sénéchaussée criminelle d’Angoulême, du 31 Mai 1777; faisant droit sur ledit appel, ensemble sur celui interjeté par ledit Jean Poirier de la même Sentence, met lefdites appellations & Sentence de laquelle a été appellé au néant; émendant, pour les cas résultans du procès, condamne ledit Jean Poirier à faire amende honorable au-devant de la porte de la principale Eglise de la Ville d’Angoulême, où il sera conduit, par l’Exécuteur de la Haute-Justice, dans un tombereau, nuds pieds, nue tête, & en chemise, tenant en ses mains une torche de cire ardente du poids de deux livres, ayant la corde au col & écriteau devant & derrière portant ces mots : ( Empoisonneur de ses beau-pere & belle-mere; ) & là, étant à genoux, dire & déclarer à haute & intelligible voix que méchamment, témérairement & comme mal avisé il a, de dessein prémédité, le 20 Juin 1776, empoisonné Michel Gendrillon & Marie Marchandon sa femme, ses beau-pere & belle-mere, en jettant dans leur soupe du poison qu’il avoit acheté le 11 dudit mois de Juin chez Philippe Binaud, Chirurgien à la Rochefoucault, duquel poison ladite Marie Marchandon est décédée le lendemain cinq heures du matin, & ledit Michel Gendrillon a été violemment incommodé, dont il se repent & en demande pardon à Dieu, au Roi & à Justice; ce fait, mené dans le même tombereau en la place publique de ladite Ville d’Angoulême, pour, sur un échafaud qui y fera à cet effet dressé, avoir les bras, jambes, cuisses & reins rompus vif par ledit Exécuteur, & de suite jetté dans un bûcher ardent, qui fera aussi dressé dans ladite place, pour y être réduit en cendres & ses cendres jettées au vent : déclare tous les biens dudit Jean Poirier acquis & confisqués au Roi ou à qui il appartiendra, sur iceux préalablement pris la somme de deux cens livres d’amende envers ledit Seigneur Roi, au cas que confiscation n’ait pas lieu à son profit, & pareille fomme pour faire prier Dieu pour le repos de l’ame de ladite Marie Marchandon : décharge lesdits René Tournier, Antoine Boisset & Jacques Binaud des plaintes & accusations contr’eux intentées à la requête du Procureur Général du Roi. Faisant droit sur les conclusons du Procureur Général du Roi, enjoint à Philippe Binaud & à tous Chirurgiens, Apothicaires, Epiciers-Droguistes d’observer les Ordonnances du Royaume, Arrêts & Réglemens de la Cour concernant la vente de l’arsenic, du réagal, de l’orpiment & du sublimé, & notamment les articles VII, VIII & IX de l’Edit du mois de Juillet 1682, enregistré en la Cour le 30 Août suivant; leur fait défenses d’y contrevenir sous les peines y portées. Ordonne qu’à la requête du Procureur Général du Roi, le présent Arrêt sera imprimé, publié & affiché tant à Angoulême, la Rochefoucault, Manles & autres lieux circonvoisins, que dans la Ville, Fauxbourgs & Banlieue de Paris, Si par-tout où besoin sera; Si pour le faire mettre à exécution, renvoie ledit Jean Poirier prisonnier pardevant le Lieutenant Criminel de ladite Sénéchaussée d’Angoulême. Fait en Parlement le seize Juin mil sept cent oixante-dix-huit. Collationné Nourichel.
Signé Lecousturier.
A Paris, chez P. G. Simon, Imprimeur du Parlement, rue Mignon Saint André-des-Arts. 1778.