Jean-François Faure de Saint-Romain (1791-1882), sous-lieutenant au 22e chasseurs à cheval

La Sabretache s’est donné la noble mission d’évoquer te souvenir de nos gloires militaires et de chercher dans cette fidélité au passé des exemples pour les générations futures (1). Chacun de ses membres apporte sa collaboration à la tâche commune et du concours de tous naît une œuvre saine et réconfortante, à notre époque surtout où le scepticisme et l’indifférence semblent devenir de mode. La commission de réduction du Carnet a bien voulu. accueillir une étude trop hâtive et trop incomplète faite par nous sur un Niortais peu connu, le général Chabot, le vaillant défenseur de Corfou. Nous tenant dans une sphère moins haute, nous allons dans une brève notice esquisser la biographie d’un modeste héros de la Grande Armée, le sous-lieutenant Jean-François Faure de Saint-Romain, du 22e chasseurs à cheval.

Jean-François Faure de Saint-Romain naquit à La Rochefoucauld (Charente), le 31 décembre 1791. Il était fils de Bertrand de Saint-Romain, officier au régiment d’Agenais (2), et de Jeanne-Hippolyte de Rassat du Lacq. Troisième entant issu de ce mariage, il ne devait jamais connaître son père. Celui-ci avait, émigré quelques mois avant sa naissance et tomba sous les balles du peloton d’exécution à Auray, après l’expédition de Quiberon. L’aïeul maternel de Saint-Romain, M. de Rassat du Lacq fut guillotiné sur la place du Trône en 1793.

La première enfance de Saint-Romain s’écoula dans sa ville natale. Quand le représentant du peuple Pénière fut envoyé en mission dans le département de la Charente pour apporter quelques soulagements et quelques consolations aux victimes de la tourmente révolutionnaire, il vint à La Rochefoucauld. Cette petite ville n’avait pas été l’une des moins troublées par les excès des terroristes. Pensant que la voix d’un enfant pourrait peut-être toucher davantage le cœur du représentant, les concitoyens de Saint-Romain le chargèrent d’adresser à Péniére les paroles suivantes « Rends-nous, rends-nous les biens que les méchants nous ont pris. » La gentillesse de l’entant émut, le représentant qui le prit sur ses genoux et l’embrassa.

La famille de Saint-Romain l’envoya faire ses études classiques à Paris, au collège Sainte-Barbe.

L’épopée impériale était alors à sa phase la plus brillante; le bruit des victoires gagnées sur l’Europe entière franchissait les murs de ce paisible établissement; que pouvait faire Saint-Romain, fils de soldat, au milieu de cet enfièvrement guerrier, si ce n’est un soldat.

A peine âgé de dix-sept ans, il s’engage, le 12 octobre 1808, au régiment de chasseurs à cheval qui va partir pour l’Espagne. Ses débuts dans la carrière militaire sont des plus heureux; car dès le 26 décembre de la même année, il est nommé brigadier et peu après fourrier (4 janvier 1809). Le Ier septembre 1809, il reçoit le galon de maréchal des logis. Un temps d arrêt va se marquer pour lui; malgré son instruction très complète, malgré son endurance et son courage, il n’est encore que sous-officier le 22 juillet 1812, à la bataille des Arapiles, devant Salamanque (3). Ce jour-là, il reçoit quatre coups de sabre dont un au poignet droit, un au côté gauche, et deux à l’épaule gauche.

C’est seulement le Ier mars 1813 que Saint-Romain est nommé maréchal des logis-chef. Son stage dans ce grade sera de courte durée; car le 19 juin de la même année, on lui donne enfin l’épaulette. Quelle joie pour une nature ardente et généreuse comme la sienne d’être nommé sous-lieutenant à vingt-deux ans, après avoir combattu pendant près de cinq ans, toujours en alertes, toujours en lutte avec les guérillas !

L’occasion de se distinguer ne va pas se faire attendre pour le jeune officier. Son régiment a quitté l’Espagne et prend part en Allemagne à cette campagne, dans laquelle Napoléon, appelant à lui toutes les ressources de son génie, cherchait, à conjurer pour la France les horreurs de l’invasion.

A Juberbogt (Prusse), le 7 septembre 1813, Saint-Romain est envoyé en reconnaissance avec vingt-cinq hommes. Il est enveloppé par un régiment de cavalerie prussienne. Se rendre était un sentiment inconnu de cette âme fière de soldat « Mes enfants, suivez-moi ! » s’écrie-t-il. Il s’élance courageusement et arrive à passer au travers des rangs ennemis. Des vingt-cinq hommes qu’il commande, un seul, le trompette est vivant et peut le suivre. Quant à lui, il est en piteux état. Cinq coups de sabre lui ont tailladé le corps un à la figure, un derrière la tête, un sur l’index de la main gauche et deux au bras gauche. Le vaillant officier rejoint son régiment; transporté dans la voiture de son général, il reçoit les soins empressés du médecin de celui-ci.

Les heures sombres sonnent pour la patrie. C’est la France envahie ! C’est son sol foulé par ceux qu’elle avait naguère fait passer sous le joug. Le 22e chasseurs a cheval est chargé de défendre Crépy-en-Valois. Bousculé dans une charge, relevé tout sanglant, Saint-Romain est secouru par son capitaine, M. Dupuys-Vaillant.

La Restauration réduit le nombre des régiments de chasseurs à cheval; à la suite du licenciement de son corps, Saint-Romain passe au 3e régiment de lanciers, le Ier septembre 1814. Napoléon a quitté l’île d’Elbe et l’armée reprend la cocarde tricolore; certains régiments manifestent hautement leur joie de retrouver celui qui les a conduits tant de fois à la victoire. Le 3e lanciers est du nombre et peu s’en faut que ses cavaliers ne s’emparent de Louis XVIII fuyant vers la frontière. L’Europe coalisée se lève de nouveau contre la France et dans la plaine de Waterloo va se jouer la dernière partie. Saint-Romain, avec son nouveau régiment, dénie devant son empereur (4) la veille de la bataille et prend part aux charges immortelles de cette journée, son cheval est tué sous lui.

Grâce au dévoûment d’un cavalier du train qui lui procure une monture, il peut se diriger vers la frontière française et arrive à Philippeville. Là, épuisé de fatigue et de souffrance, il se jette sur un lit d’auberge et s’endort profondément. Le lendemain, en s’éveillant, quelle ne fut pas sa surprise de voir couché à côté de lui un officier dont l’habit rouge indiquait, sans aucun doute possible, la nationalité. Ils échangèrent leurs impressions et tel avait été le désarroi de la bataille que l’officier anglais la croyait perdue par les coalisés ! (5)

Dans ce court espace de six ans et demi, Saint-Romain, âgé seulement de vingt-quatre ans, avait bien payé de sa personne, car il avait reçu neuf blessures : quatre aux Arapiles, cinq à Juberbogt. Il peut sembler étrange que ce jeune officier n’eut pas encore reçu la croix de la Légion d’honneur. Le 31 juillet 1814, le chevalier Bertèche, son chef d’escadron, avait réclamé pour lui la décoration en ces termes :

« Le major soussigné a l’honneur de proposer à Son Excellence le Ministre Secrétaire d’Etat de la Guerre d’accorder la décoration de la Légion d’honneur au sieur de Saint-Romain pour qui elle a déjà été demandée en février et mars de l’année courante. Cet officier est plein de bravoure et de noblesse; il appartient à une famille toute dévouée à ses Rois. Depuis environ six ans qu’il est au régiment, il n’a cessé d’être en activité et présent à l’armée que pour se rétablir des blessures qu’il avait reçues en combattant avec intrépidité.

« Enfin, le soussigné trouve avec plaisir l’occasion de témoigner au sieur de Saint-Romain l’intérêt qu’il lui porte en renouvelant pour lui une demande dont les circonstances ont empêché le succès.

« A Cambrai, le 31 juillet 1814.

« Signé : le chevalier Bertèche. »

On pouvait croire que Saint-Romain échapperait à la proscription qui frappa les officiers de l’Armée impériale à la deuxième Restauration. Il ne devait malheureusement rien en être. Après le licenciement de l’armée, Saint-Romain tente des démarches pour être admis a continuer ses services. Le général de Broglie, auquel il se présente, lui demande s’il n’a pas fait partie de ce régiment de lanciers qui avait donné la chasse à Louis XVIII dans sa fuite vers Gand. Avec cette franchise qui fut l’honneur de sa vie, Saint-Romain le reconnaît en déclarant que lui, soldat, n’avait pas à discuter les ordres de ses chefs et qu’il n’avait fait que s’y conformer. Cette réponse n’eut pas le don de plaire au général de Broglie. Aussi, malgré les preuves de fidélité au Roi données par sa famille, malgré le dévouement à la Royauté, de son père, fusillé a Auray, il est mis a la retraite « pour blessures », le 10 février 1810. Sa pension était peu élevée : 350 francs !

Comprenant qu’il doit diriger son activité d’un autre côté, Saint-Romain revient à La Rochefoucauld et se consacre à l’agriculture, luttant contre l’ignorance des paysans et contre leur routine. Le 4 avril 1819, il épouse Mlle Marie-Louise Mariveau. Sa compagne meurt le 19 mars 1828, le laissant sans enfants. La Révolution de Juillet ramène des jours meilleurs pour les officiers des armées impériales en demi-solde. Élu commandant de la garde nationale de La Rochefoucauld, il sollicite sa réintégration dans l’armée comme sous-lieutenant de gendarmerie. Affecté au 3e bataillon mobile de gendarmerie, comme sous-lieutenant faisant fonctions de lieutenant, par décision du 31 décembre 1830, confirmée par ordonnance royale du 17 mars 1831, il passe à la compagnie de la Vendée le 31 décembre 1831, puis à celle de la Haute-Loire le 17 mars 1831, en qualité de commandant de l’arrondissement d’Yssingeaux. Dans cette petite ville, il se lie d’amitié avec M. Haussmann, le futur auteur des embellissements de Paris, alors sous-préfet. Une décision du 19 juin 1832 le nomme lieutenant; une autre du 22 août 1833 le fait passer à la compagnie de la Charente. Les fatigues d’un service actif à cheval lui étaient pénibles, bien qu’il ne fût âgé que de quarante-deux ans, sa robuste constitution ayant été mise à une rude épreuve par ses nombreuses blessures. Aussi, sur sa demande, une décision royale du 25 juillet 1834 l’autorisa-t-il à rentrer en jouissance de la pension qui lui avait été accordée le 10 février 1816. Sa carrière militaire était finie.

Saint-Romain se consacra de nouveau à l’agriculture, fonda un comice agricole et, le 4 mai 1844, se remaria avec Mme Annette-Henriette Juzeaud de Beauregard, veuve de M. Jacques de Rippe de Beaulieu (6). Maire de La Rochefoucauld, conseiller général (7), il reçut en 1847 la croix de chevalier de la Légion d’honneur comme doyen de l’assemblée départementale. Eu 1868, on lui conféra la croix d’officier, décoration bien méritée, tant pour ses services militaires que pour son influence salutaire dans le canton de La Rochefoucauld. Personne ne fut surpris de cette distinction bien justifiée, si ce n’est celui qui en était l’objet. Le 14 novembre 1882, M. de Saint-Romain s’éteignit doucement avec le calme de celui qui fut toute sa vie un honnête homme, c’est-à-dire un homme sachant regarder en face le devoir et l’accomplir virilement. Il quitta cette terre entouré du respect et de l’estime de tous, emportant au fond de sa conscience le sentiment d’avoir bien et dignement employé les longs jours que Dieu lui avait donnés. Parmi les personnes qui suivaient son cercueil, on pouvait voir un vieillard aussi âgé que lui, c’était son compatriote et son ancien ordonnance qui avait chargé à ses côtés à Waterloo.

Nous avons fait appel à l’obligeance des enfants du lieutenant de Saint-Romain : M. et Mme de Montégut, M. Elie de Saint-Romain. Malheureusement, nous n’avons pu retrouver dans les papiers de famille que des détails trop succincts pour tracer une biographie complète de leur père, biographie qui aurait pu être très intéressante. Nous espérons que, malgré les lacunes de cette notice, nos collègues seront heureux de connaître ce brave et modeste soldat de la Grande Armée.

La médiocrité de sa carrière, inexplicable en raison de sa vaillance et de son instruction plus complète que celle de la plupart de ses collègues, ne troubla du reste jamais la sérénité de l’âme vraiment antique de Saint-Romain.

Louis Besson.

Notes :

(1) Praetiriti fides, exemplumque futuri, devise de Colonel-Général-infanterie, adoptée par la Société « la Sabretache »

(2) Aujourd’hui 16e régiment d’infanterie de ligne, Bertrand de Saint-Romain signa le procès-verbal de l’assemblée plénière de la noblesse de l’Angoumois, tenue le 19 mars 1789.

(3) Le portrait qui accompagne cette notice est la reproduction agrandie d’une miniature communiquée par la famille et faite à Poitiers en 1812. Saint-Romain porte la tenue de sous-officier.

(4) Saint-Romain aimait à rappeler qu’en défilant devant son « Empereur », il avait fait caracoler son cheval, animal superbe, et que Napoléon, d’un geste bienvaillant, l’avait invité à calmer l’ardeur de sa monture.

(5) L’officier anglais, en liant conversation avec Saint-Romain, lui dit ces mots : « Vous nous avez beaucoup abîmés. » Cette phrase peint l’inconscience de la situation dans laquelle il se trouvait.

(6) De cette union naquirent deux enfants, Mme de Montégut et M. Élie de Saint-Romain.

(7) Coïncidence à signaler : Trois jeunes Charentais, MM. de Saint-Romain, de Châteigner et de la Tranchade, s’étaient engagés le même jour au 22e chasseurs à cheval. Ils parvinrent tous trois à l’épaulette; rentrés dans la vie civile, ils devinrent maires de leurs communes natales La Rochefoucauld, Bunzac, Angoulême, et se retrouvèrent collègues au conseil général de la Charente.