Lettre de Saint-Fief*** à un autre officier, en date du 21 juillet 1789 :
« Monsieur et cher camarade,
La liberté triomphe, les tirans sont confondus, j’en frémis de plaisir. Vous savez ce qui s’est passé à Paris, voicy ce qui s’est passé icy…
… Mille deux cents jeunes gens se firent inscrire pour former un corps de cavalerie. Ils se portèrent en foule mais en ordre au château qu’ils prirent sans résistance, mais malgré le refus du commandant les salles d’armes et magasins leur furent livrés. Cependant le régiment de Rohan faisoit relever les postes et restoit dans des casernes gardées par les officiers qui craignoient que leurs soldats ne joinissent les bourgeois. On recevoit des courriers de l’Oriant, d’Angers, de Rennes qui apprenoient le bouleversement de ces villes… enfin arrive la nouvelle de la prise des Invalides et de la Bastille. Le courage en augmente, dix mille hommes jeunes et vaillants se présentent pour monter la garde, on n’en admet que quinze cents par jour.
On reçoit une lettre de M. de Villedieul apporté par un courrier du cabinet, cette lettre annonçait la pacification de Paris, la cessation des troubles, la retraite des troupes, on ne veut pas y ajouter foi, on regarde cette manœuvre comme le complément de la perfidie des ministres… Le lendemain on ne peut plus avoir de doute, la joie est dans les yeux, mais la ville ne désarme pas, elle veut se garder elle-même. J’ignore comme on s’est conduit ailleurs, mais si cette contrée eut été de salpetre elle n’eut pas été plus vite enflamée.
Je croyois vous envoyer une lettre de trois pages mais il faut l’allonger. Comme je quitois la plume, j’entends crier, aux armes aux armes, nous sommes trahis, fermez vos boutiques : je mets la tête à la fenestre, on me dit que deux régiments de dragons tombent sur la ville. J’entends sonner le tocsin, battre la généralle, je cours au château : j’y entre malgré la foule, l’intérieur étoit rempli d’hommes armés, 5 000 fusils de 77 fabriqués à Maubeuge dispersés dans les mains les plus maladroites… je m’informe du commandant, on me dit qu’il est pris ainsi que l’aide major, qu’on a eu toutes les peines à l’arracher à la fureur du peuple et que le poignard est sans cesse sous sa gorge pret a le frapper.
Je sors du château… la rage est dans les yeux, les imprécations dans les bouches, je n’entends que les mots de mort, d’exterminer, autant mourir aujourd’hui que demain, imitons les parisiens préférons la mort à la servitude. Cependant on court du côté des ponts par où les troupes devoient arriver, trois cents jeunes gens des premières maisons de commerce très bien montés, les traversent au grand trot, le sabre à la main. Des pioniers et des charpentiers marchent pour couper la chaussée et les ponts s’il étoit nécessaire… (finalement les cavaliers annoncent que l’alerte est fausse) tout rentre dans l’ordre ne criant vive le roi, vive la liberté. »
De tels spectacles éllevent l’homme et décuplent les forces. L’Europe doit voir avec ettonement et admiration l’énergie des françois et le mois de juillet 1789 sera à jamais célébré dans nos fastes. »
***Charles-Barthélemy de Saint-Fief (1752-1841), natif de Salmagne (Meuse) général de brigade (1793), marié dans l’église de Pleuville avec Marie Duverrier de Boulzat (1794), agent municipal de la commune de Pleuville (1795), décédé à Poitiers (Vienne).
Source : Carrier et la Terreur nantaise, de Jean-Joël Brégeon.