M. Jean Deval de Beauregard s’en revenait, par un orageux après-midi, à travers la lande angoumoisine. Avec amertume, il regardait se profiler le mur crénelé du logis de Garde-Epée, l’un des domaines de Mlle de Jarnac, dont pour son malheur M. Deval avait fait connaissance aux fêles données par M. le gouverneur de Cognac. Pour son malheur, dis-je, car la belle appartenait à la haute noblesse de sa province et l’amoureux n’était que de petit état.
Une large goutte de pluie tira M. Deval de ses pensers. Il leva la tête et vit le ciel tout envahi par des nuées d’orage qui ne lui laisseraient pas le temps de gagner quelque asile chrétien. Un boqueteau de bois fermait bien là campagne, mais ce n’était pas abri convenable par ce temps. Le gentilhomme décida de giter sous le dolmen qui domine la lande.
La nue, crevant à grand bruit, faisait sombre la plaine ét, sous ces vieilles pierres, c’était quasi la nuit. M. Deval se crut d’abord seul mais, ayant mieux fouillé l’ombre, il découvrit qu’il partageait ce refuge avec une femme tassée dans une mante à coflueluchon, et qui regardait tomber l’eau sans doute une matrone en route pour quelque affaire, et que l’ondée retenait en ce lieu.
M. Deval n’était ni duc, ni pair, ni riche mais il était né. Il prit au poing son chapeau et s’approcha, déférent, de la bonne femme; celle-ci marqua un mouvement de surprise en le voyant jaillir d’entre les pieds du dolmen.
— Ne craignez point, madame, fit-il. Apprenez seulement que, je vous quitte la place, pour ne pas vous obliger à partager votre asile avec un inconnu.
Déjà il ébauchait un pas en dehors, quand une main vive en-: core le retint par son habit :
— N’en faites rien, monsieur ! Avant deux minutes, la foudre va tomber sur le bois que voici.
La voix sortait assez fraîche, malgré l’âge, des plis du coqueluchon. Elle rappelait vaguement quelque chose à M. Deval… mais il n’eut point loisir de se demander quoi: dans l’instant même, une nappe de feu illumina l’espace, tandis qu’un vacarme effroyable emplissait l’air. En face du dolmen, un pin secouait comme une torche ardente sa chevelure embrasée.
Le jeune homme recula d’un pas :
— Hé là ! Seriez-vous sorcière, madame ?
La réponse fut sans fard :
— Pourquoi non ! N’avez-vous jamais entendu dire à votre nourrice que ce sont là habitantes communes, pour lès dolmens et autres monuments de même sorte ?
M. Deval de Beauregard; à ce coup, demeura coi. Point effrayé, certes, mais pensif. Et voici que la femme reprit, de l’ombre où elle s’était reculée et comme perdue, toute petite en sa vaste mante :
— Et la preuve que je suis sorcière, c’est que je sais qui vous êtes, monsieur de Deauregard. Vous n’en pourriez dire autant de moi. Non, le gentilhomme n’aurait pu dire à qui il avait affaire. Cette inconnue était peut-être vraiment une sorcière. On n’a pas tous les jours l’occasion de voisiner avec ces cousines du diable. Il fit :
— Madame, sur les preuves que vous m’en donnez, je croirais bien ce que vous me dites touchant votre état, encore que, dans ce réduit où nous sommes, votre manteau ne fleure point du tout le soufre, mais la bergamote. M’est-il permis de vous demander un avis, pour une cause qui me tient fort au cœur ?
Parmi le tumulte de l’orage faisant furieusement vacarme, il y eut un son léger, comme si la sorcière étouffait de rire, ou peut-être qu’elle éternuât. Déjà, d’ailleurs, elle répondait :
— Je mets à votre service les dons que j’ai reçus, si je puis.
Et M. Deval conta ses tourments, c’est-à-dire les sentiments qu’il éprouvait pour Mlle de Jarnac et la crainte qu’il avait de ne voir pas couronner un si grand amour. La sorcière écoutait, enveloppée jusqu’aux yeux, les vieilles gens sont si frileux ! — dans la mante plus sombre que les entrailles du dolmen. Quand le gentilhomme yint dire que la belle ne voulait point de lui, vu la mesquinerie de son train, la bonne femme se fâcha :
— Voilà qui est mal parler, monsieur. Mlle de Jarnac ne vous pardonnerait point si elle savait que vous doutez d’elle pour une question de rang ou d’écus.
— Pourtant…
— Point du tout. Laissez cela, vous dis-je, ou votre cause’ëst perdue. Or, il faut la gagner.
— Et comment donc ? fit M. de Beauregard, ivre d’une espérance.
— Demain, au petit jour, entrez dans la cour du logis de Garde-Epée. Vous y trouverez une fille de !ferme dispensant le grain aux volatiles. Allez à elle, faites-lui la déclaration de votre amour.
— Pardonnez-moi, madème, je ne le ferai point.
La sorcière secoua les épaules :
— Voyez-moi ces lunatiques ! Ils demandent secours et renâclent à saisir la perche tendue ! Et pourquoi cela, s’il vous plaît ?
— J’aime trop Mlle de Jarnac pour lui être infidèle, fût-ce par feintise. Et aussi, si petit état que -je tienne, une fille basse-courière…
— Alors, ne vous plaignez pas de votre infortune. Bonsoir !
Sur ce petit mot sec, la sorcière, rassemblant ses cottes, disparut dans l’ondée.
Elle s’éloigna fort vite, comme font seulement les filles très jeunes et les sorcières très vieilles. Un moment, M. de Beauregard tâcha à surprendre la direction vers laquelle elle fuyait. Mais le moyen, avec cette pluie faisant rage, et dont l’inconnue s’enveloppait comme d’un manteau ? Le feu était-il, par ailleurs, au dolmen, pour que la devineresse s’en écartât si vivement ?
Ennuyé et songeant à ce qui venait de lui être dit, M. de Beauregard se mit en devoir de regagner son logis. La pluie cessait tout justement, un arc-en-ciel lançait l’écharpe d’iris sur la lande.
Notre chevalier habitait une gentilhommière croulante demi. Tout son domestique se composait d’un vieux serviteur qui salua le retour de son maître par ces mots prononcés d’un ton sans grâce :
— Cela a-t-il du bon sens, de s’en aller par ce temps courir le garou sur la lande, et remuer je ne sais quels fagots à vous rompre la tête ?
Le jeune homme prit les choses à la bonne, car son valet, tout grognon qu’il fût, était le seul être humain qui lui tint compagnie. Il répondit gaiement :
— Pour les fagots que je remue en ma cervelle, cela ne regarde que moi, s’il te plaît quant à ce qui est de courir le garou…. eh ! eh ! j’ai rencontré quelqu’un qui m’a tout l’air de le courir à ses heures !
Thibaud dressa l’oreille il s’informa :
— Ho ! monsieur ! Vous n’auriez point trouvé la Grand-Beste, j’espère?
— Non pas, Thibaud; mais sous le dolmen de Garde-Epée, où j’avais pris refuge, une sorcière, bel et bon, m’a accueilli. Elle m’a annoncé que la foudre allait tomber sur le bois, et, l’instant d’après, un pin a flambé.
— Cela… fit Thibaud en hochant la tête.
— Elle m’a dit encore…
Le gentilhomme s’arrêta, et, sans vouloir toucher à son repas, s’en alla dans le bout du parc déchevelé entourant son logis.
Le conseil donné par la sybille trottait en sa tête, et de la belle façon. Si, vraiment, il était si simple de conquérir Mlle de Jarnac, il y aurait sottise de ne le point tenter. Mais feindre — et pour quel objet ! — des sentiments qu’il n’éprouvait point, répugnait au gentilhomme à l’extrême. Sans parler qu’il y aurait de gros risques, car Mlle de Jarnac, survenant, pouvait fort bien surprendre des propos qui n’étaient point pour ses oreilles. Alors, tout espoir serait à jamais perdu.
M. Deval passa une nuit bien perplexe. Au matin, et s’étant juré cent fois de n’en rien faire, il se trouva devant la muraille de Garde-Epée. Il franchit la poterne, et, dans la grand’cour, il trouva une fille jetant le grain aux oisons. La pécore se mêlait d’avoir tournure avenante, encore que sa tête fût dérobée par les bavolets de sa capeline. La pénitence n’en parut pas moins amère à l’amoureux de Mlle de Jarnac; il avança, recula, hésita, tortilla de cent manières avant que de lancer tout d’une haleine :
— Ma belle enfant, que je vous aime ainsi !
Ce n’était pas tout à fait une déclaration d’amour, mais le gentilhomme ne pouvait dire plus. Sans doute, cela suffisait : brusquement, la drôlette se retourna, montrant un minois qui était bien Jarnac :
— Et moi donc ? Fol qui n’en auriez rien voulu voir sns que j’aie fait la sorcière !… Vous ai-je bien floué ?
Ainsi fut décidé le mariage de haute demoiselle Henriette de Jarnac avec noble homme Jean Deval de Beauregard.
Source : Jean Mauclère.