Madame Claire-Madeleine de Lambertie, épouse de Villemain

Guillotinée le 27 mars 1794

Le jeudi 27 mars 1794 (7 germinal an II), au nombre des victimes du tribunal révolutionnaire qui périrent sur l’échafaud, se trouvaient deux nobles femmes originaires de notre province, l’une religieuse carmélite, dont la notice biographique précède, l’autre, Madeleine de Lambertie, femme de Villemain, à laquelle nous consacrons ici quelques lignes.

La famille de Lambertie, originaire du château de ce nom, placé sur la limite même du Limousin et du Périgord, dans les paroisses de Dournazac et de Miallet, a forme la branche de Marval (canton de Saint-Mathieu, Haute-Vienne), à laquelle appartient Claire-Madeleine de Lambertie. Son père, Jean, comte de Lambertie, chevalier, seigneur de Marval en partie, la Chapelle Saint-Robert, etc., épousa, en secondes noces, à Montluçon, le 13 juin 1747, Elisabeth-Aimée Alamargot de Fontbouillant. De ce mariage sont nés : 1° le 12 avril 1748, Claire-Madeleine (1), 2° le 22 avril 1750, Pierre-Michel; 3° le 9 avril 1755, Emmanuel.

Claire-Madeleine de Lambertie, épousa par contrat passé à Paris le 20 septembre 1770, et le 10 octobre dans l’église de Saint Honoré, messire Nicolas-Pierre-Elisabeth Geoffroy, comte de Villemain, seigneur du Mesnil, d’Ordoux, etc., fils de messire Antoine-Pierre, Geoffroy, écuyer, seigneur de Vandières, etc., conseiller, secrétaire du roi, et de Madame Marie-Marguerite Elisabeth-Françoise de Cuisy de Fey.

Nous avons une lettre dans laquelle elle annonce son mariage à son oncle.

« Le 30 août 1770.

Mon cher oncle,

L’intérêt que j’espère que vous avez la bonté de prendre à ce qui me re garde et ce qui peut m’être avantageux, ne me laisse pas douter que vous voudrez bien donner votre consentement pour un mariage dont il est question, qui est des plus avantageux. Je vous aurais écrit plus tôt, mais le mariage était si indécis que j’ai cru qu’il fallait le laisser ignorer. Mais actuellement on n’attend que votre approbation pour le faire. C’est un jeune homme habi tant Paris, qui jouit d’une fortune aisée, et qui jouira dans peu de 80.000 livres de rente. Le parti est assez bien quant à la naissance. Un ancêtre était secrétaire du roi. Lui compte se mettre au service, il a des titres exigés, il se nomme comte de Villemain. Je ne pouvais pas espérer, avec deux cents livres de rente, épouser quelqu’un de riche et de grande maison. Comme je suis lasse de manquer des choses les plus nécessaires et d’être à la misère, je me suis déterminée, et j’espère que vous l’approuverez.

…. En attendant de vous celle grâce, comme celle de me rendre par la suite plus de justice et de ne pas douter des sentiments respectueux avec les quels j’ai l’honneur d’être votre humble et très obéissante servante.

Votre nièce, Lamberty.

Oserai-je vous prier d’être mon interprète auprès de ma tante et de lui faire agréer mes hommages, en lui faisant part de mon mariage. »

Après son mariage elle continua à habiter Paris. Le comte de Villemain y possédait un hôtel place Vendôme, no 2, où il recevait souvent les membres de la famille de Lambertie. C’est à Paris qu’elle fut arrêtée puis traduite au Tribunal révolutionnaire. Elle était accusée : 1° d’avoir favorisé l’émigration de ses frères, Pierre-Michel de Lambertie, ci-devant colonel au régiment de Normandie, et Emmanuel de Lambertie sous-lieutenant réformé des gardes du corps; 2° d’avoir entretenu une correspondance avec eux; 3° d’avoir soustrait à la confiscation l’argenterie de la famille de Polignac, avec laquelle elle était liée, et même de celle du comte d’Artois.

Elle niait d’avoir fourni de l’argent à ses frères pour leur émi gration; elle avait reçu d’eux des lettres et elle avouait qu’elle leur en avait adressé quelques unes pour les détourner de lui écrire. Elle avouait encore qu’elle avait reçu en dépôt de l’argenterie de Polignac, et qu’elle l’avait cachée dans une chambre murée pour la soustraire au pillage, ignorant d’ailleurs qu’il y en eut aussi du comte d’Artois. Mais ce qu’elle avouait était bien plus que suffisant pour entraîner sa perte (2).

Après que le sanguinaire tribunal eut prononcé la peine de mort contre madame de Villemain, elle fut ramenée en la compagnie de la carmélite de Saint-Denis, avec laquelle on allait la conduire à l’échafaud. C’est en sa compagnie, et peu d’heures avant leur exécution, qu’elle écrivit les lettres suivantes :

Dernières lettres de Madame de Villemain, née Madeleine de Lambertie.

« Ne pleurez pas votre fille, chère maman; elle est morte digne de vous, elle vous a aimé jusqu’à son dernier soupir. Vivez, conservez-vous et priez pour elle.

Adieu, mon dernier soupir sera pour vous.

Lambertye de Villemain.

A la citoyenne Lambertye à Montluçon, par Moulins (3). »

Ces lignes si simples et si émouvantes ont été écrites par la compagne de malheur de sœur de Chamborant, pendant les suprêmes minutes que les deux femmes passèrent ensemble dans la salle des morts, avant l’horrible toilette et le départ sur les charrettes du bourreau. Elles méritent d’être citées pour faire connaître l’état d’esprit de cette victime se préparant à la mort, et aussi pour souligner l’atroce insensibilité de Fouquier-Tinville qui, loin de faire parvenir la lettre à Mme de Lambertie mère, l’a gardée dans ses papiers. Aussi cette lettre, comme les 53 autres, comprises dans le même carton, n’a été connue de personne. C’est donc plus d’un siècle après le jour où elle a été écrite que, grâce aux recherches de M. P. Gaumy aux Archives Nationales, nous pouvons la publier.

Les lettres suivantes nous montrent quels étaient ses senti ments et son affection pour les membres de sa famille et pour les personnes de son entourage, mais personne n’a eu la consolation de les lire, puisqu’elles ont toutes été retenues par Fouquier Tinville.

« Je soussignée, prie le citoyen Villemain, mon mari, de payer au nomme Francois Lhomme, mon laquais, la somme de huit cents livres pour les soins et bon services et fidélité à mon service, et pour le dédommager de sa déten tion dont je suis cause. Je lui fais don et présent comme dédommagement.

A Paris, ce 6 germinal l’an deux de la République (26 mars 1794).

F. Villemain. »

« Pour Francois Lhomme, mon laquais, celui qui est malade (4).

Je soussignée prie le citoyen Villemain, mon mari, de payer en mon acquit à la citoyenne F. Petitfrère, garde, la somme de cent livres pour les soins et bons services qu’elle m’a rendus pendant ma maladie, dont je lui fais don et présent.

A Paris ce 6 germinal de l’an deux de la République (26 mars 1794).

F. Villemain. »

« Pour la citoyenne Petitfrère, garde (5).

Je reçois à l’instant l’ordre de monter au tribunal, Il est dix heures du soir; å peine je puis me soutenir. Mais comme ce qui est à la justice des hommes est incertain, je désire que vous sachiez que j’ai pensé à vous dans mes derniers moments, et que je terminerai ma carrière en cet effet, que je n’ai aucun tort à me reprocher et que le vœu de mon cœur a été, et est, de vous savoir heureux. Je vous demande en grâce de remplir les petits engagements que j’ai pris envers ceux qui m’ont servi et envers mes domestiques. Vous êtes trop honnête pour me refuser. Ce n’est pas un testament; on en fait plus; mais c’est une grâce que je vous demande; je leur ferai remettre chacun un bon.

Adieu, mon ami, je ne puis regretter la vie, puisque vous avez osé me rendre justice. Soyez heureux, pensez quelquefois à moi.

Lambertye de Villemain. »

« Je vous déclare que je dois, il y a quelque temps, 6,000 livres au citoyen Jumilhac, qu’il m’a prétées et dont je lui ai fait un billet. La citoyenne Ferrière me donnera la note de ce que je lui dois. Elle est remplie de probité, vous la connaissez. Je dois 400 livres à Lenormand, marchant d’étoffes. Voilà toutes mes dettes. La citoyenne m’a cautionnée le billet du tapissier; il est de mille écus et vous avez les meubles.

Au citoyen Villemain, rue Ferreti (6).

Je prie le citoyen Villemain, mon mari, de donner à la citoyenne Louise, in firmière, la somme de cent francs pour les soins qu’elle a pris de moi, dont je lui fais don.

A Paris, ce 6 germinal l’an deux de la République (26 mars 1794).

F. Villemain. »

« Pour la citoyenne Louise (7).

Je soussignée prie le citoyen Villemain mon mari de payer à Adeline, ma femme de chambre, la somme de six cents livres et cent francs pour son voyage, comme indemnité de l’avoir fait venir de cent lieues, isolée, à Paris. Je lui fais don et présent de cette somme.

A Paris ce 6 germinal an deux de la République (26 mars 1794).

F. Villemain. »

« Pour Adeline, ma femme de chambre (8).

Je soussignée prie le citoyen Villemain, mon mari, de payer au nommé Langlois et à sa femme la somme de chacun cinq cents livres pour les bons soins qu’ils m’ont rendus pendant ma détention, dont je leur fais don et présent.

A Paris, ce 6 germinal l’an deux de la République (26 mars 1794).

F. Villemain. »

« Pour Langlois, mon cuisinier (9).

Je soussignée prie le citoyen Villemain, mon mari, de payer à la nommée Guillot, mon ancienne bonne, la somme de six cent livres pour les soins qu’elle m’a rendus dans mon absence, dont je lui fais don et présent.

A Paris ce 6 germinal de l’an deux de la République (26 mars 1794).

F. Villemain. »

« Pour la citoyenne Guillot, femme de chambre de la citoyenne Lambertye, à Montluçon (10).

J’ai senti comme je le devais, le prix de vos soins, mon cher concitoyen, et j’emporte au tombeau une reconnaissance immortelle. Ne me pleurez pas, mais faites-moi le plaisir d’accepter le bon ci-joint, et de faire remettre exactement toutes les lettres et bons ci-joints. J’écris avec peine, mes facultés sont anéanties, mais mon cœur existera jusqu’au dernier moment, occupé de tout ce qui m’est cher et vous êtes du nombre.

Soignez Mme de Saint-Serren, je n’ose lui écrire, mais dites lui que je l’aime; si je cesse d’être, gardez lui mes confitures… (trois mots illisibles) provisions. Adieu.

F. Villemain (11). »

« Je soussignée, prie le citoyen Villemain, mon mari, de payer à mon acquit au citoyen Boillard, officier de santé, la somme de deux mille livres pour les soins et bons services qu’il m’a rendus pendant ma maladie, dont je lui fais don et présent.

A Paris ce 6 germinal l’an deux de la République (26 mars 1794).

F. Villemain (12). »

« J’ignore, ma chère amie, quel sera mon sort. On m’avertit ce soir pour monter demain au tribunal. A peine puis-je me soutenir. Je veux que vous sachiez que vous avez été pour mon caur la préférence perpétuelle, que mon dernier soupir sera pour mon amie et mes malheureux parents. Je ne vous parle pas de tout ce que je vous dois; mon mari sera assez honnête homme pour payer mes dettes. Hélas ! Je n’ai ni la force, ni les moyens à peine d’écrire. Ah ! mon amie, que j’ai souffert ! Que je vous aimel je vous embrasse ainsi que vos enfants et nos amis communs. Ne m’oubliez pas.

F. Villemain.

Priez pour moi. A la citoyenne Ferrière, rue Barbette, au Marais, n° 4, à Paris (13). »

Bien entendu, aucune de ces lettres n’est parvenue à son adresse, Fouquier-Tinville a tout gardé. La mère, le mari, l’amie, les serviteurs de Mme de Lambertie-Villemain ont toujours ignoré ses derniers vœux et ses dernières pensées. Le carton des Archives Nationales qui contient ces lettres n’est pas encore inventorié.

Claire-Madeleine de Lambertie épouse de Villemain, fut menée à l’échafaud et guillotinée sur la place de la Révolution, avec Marie-Catherine-Gabrielle de Chamborant, le 27 mars 1794.

Notes :

(1) L’an mil sept cent quarante-huit, est née et a été baptisée Claire-Madeleine Lambertie, fille légitime de Messire Jean de Lambertie, chevalier, seigneur et comte de Lambertie et de l’ordre de Saint-Louis, ancien capitaine du régiment royal de Poitou et de Madame Elisabeth-Aimée Alamargot de Fontbouillant, son épouse. Le parrain est Messire Gilbert Alamargot de Fontbouillant, chevalier, seigneur de Quinsaines, et la marraine est Mlle Claire Madeleine Dorsan, fille de M. le baron Dorval, absents, représentés par Gilbert Chatron, qui n’a su signer, de ce enquis, et par Catherine Chabra, soussignée. (Registres paroissiaux de Montluçon).
(2) Wallon. Histoire du Tribunal Révolutionnaire, tome III, p. 77.
(3) Arch. Nat. Série W 1a. Carton 134. Liasse A. Pièce 25.
(4) Arch. Nat. Pièce 156.
(5) Ibidem, W 1a. Carton 134. Liasse A. pièce 155.
(6) Ibidem, pièce 59.
(7) Ibidem, pièce 58.
(8) Arch. Nat. pièce 57.
(9) Ibidem, série 1a, carton 134, liasse A., pièce 56.
(10) Ibidem, pièce 55.
(11) Ibidem, pièce 49. Probablement au médecin Boillard.
(12) Ibidem, pièce 48.
(13) Arch. Nay. pièce 46.

Source : Le Limousin & la Marche au Tribunal révolutionnaire de Paris, d’André Lecler.