La commune de Jauldes s’enfonce comme un coin dans le canton de Saint-Amant. Elle est très étendue (2,559 hectares), mais le sol est de médiocre qualité; on y élève cependant beaucoup de bétail, et tout le territoire est semé de villages qui se groupent sur le flanc des collines et au fond des vallées, car le pays est très accidenté et coupé de routes dont quelques-unes sont d’affreuses fondrières; il en est une surtout, menant de Tourriers à Fayolle, que je recommande au touriste amateur d’émotions. C’est un escalier presque à pic, où l’on a vingt chances pour une de verser, si l’on a le courage de rester en voiture durant le trajet. Il est vrai que, parvenu au sommet, le voyageur jouit d’un spectacle qui n’est pas trop payé par les inquiétudes qu’ont pu faire naître les sinuosités capricieuses du sentier. — Sur ces hauteurs se dressent les murs déchiquetés d’un château qu’on aperçoit de dix lieues à la ronde. Ses épaisses murailles donneraient à penser qu’on se trouve en présence d’une ruine féodale qui a dû voir la guerre de Cent-Ans; ce qui complète l’illusion, c’est qu’il est entièrement isolé et que l’œil se promène au loin dans les vallées qui l’entourent avant de rencontrer un toit de maison, un village. Et pourtant cette construction est plus récente qu’on ne le supposerait d’abord; elle date de la Renaissance.

— Un paysan que nous trouvâmes là, par hasard, nous dit la tradition : « Un seigneur de Fayolle, très riche et renommé dans la contrée, paria qu’il bâtirait un château plus beau que celui du comte de La Rochefoucauld. Il y serait parvenu, mais le seigneur de La Roche l’en empêcha. Alors, ne pouvant décorer l’extérieur à sa fantaisie, il épuisa toutes les magnificences à l’ornementation de l’intérieur. Il y avait surtout une chambre, dite la chambre dorée, qui était une merveille. »

Nous avons donné la légende, voici l’histoire : Fayolle formait au moyen âge un arrière-fief relevant de la baronnie de La Rochefoucauld.

Ce fief appartint à la famille Tison d’Argence jusqu’en 1535, époque où il passa dans une famille noble du Limousin, par le mariage d’une Tison avec un sire de Lubersac établi dans le comté de La Rochefoucauld. — Foulques de Lubersac laissa en mourant son héritage à son fils, Pierre de Lubersac, célèbre dans nos guerres avec la maison d’Autriche, sous le nom de capitaine Fayolle, un des plus vaillants hommes de son temps. En 1552, il se trouvait, ainsi que son suzerain François III de La Rochefoucauld, parmi les défenseurs de Metz, assiégé par Charles-Quint. Un seigneur espagnol, avec la forfanterie habituelle à sa nation, défia en combat singulier les plus braves d’entre les chevaliers français.

Le duc de Guise, le vaillant gouverneur de la place, voulut qu’on relevât le gant, et le cri général désigna le capitaine Fayolle comme le plus capable de punir le matamore castillan de son arrogance. Pierre de Lubersac sort armé de la ville, court à l’Espagnol, et renverse du premier choc le cavalier ennemi et son cheval. Cette victoire ne fit que grandir sa réputation de force et de vaillance; malheureusement, dans une sortie, le brave chevalier fut atteint d’un boulet de canon et resta sur place.

Ce fut son neveu, Lionel de Lubersac, qui entreprit la construction du château dont les ruines couvrent une vaste étendue de terrain sur le coteau abrupte dont nous parlions tout à l’heure. Le plan en était par trop régulier; c’était un carré de près de cent mètres de côté; à chaque angle se dressait une tour ronde très élevée. Ces tours sont rasées au niveau du sol, à l’exception de l’une d’elles, dont les flancs éventrés laissent passage au vent qui siffle horriblement en s’engouffrant à l’intérieur. Au centre s’élevait le logis, dont il ne reste que de grands pans de murailles toutes déchiquetées. — Lionel de Lubersac se ruina dans cette construction gigantesque et fut forcé de vendre sa seigneurie à Benoît de L’Age-Bâton, président au parlement de Bordeaux, vers 1580. Depuis, la négligence des propriétaires a amené la ruine de l’édifice. Le temps a accompli son œuvre de destruction, aidé parla main des paysans des environs qui, suivant leur coutume, trouvant là une carrière commode, y ont puisé largement pour élever leurs granges et leurs maisons. — La commune contient 1,150 habitants, répartis entre le bourg (142 h.), à treize kilomètres de La Rochefoucauld et à dix-neuf d’Angoulême; Chez-Renard (139 h.), Treillis (163 h.), Nouailles (62 h.), la Mornière (64 h.), Glange (64 h.), le Petit-Cherves (50 h.), le Bois (55 h.), le Grand-Cherves (118 h.), la Motte (49 h.), etc.

Jauldes est relié à La Rochefoucauld, à Anais, à La Rochette par de fort belles routes bien entretenues. — Son église n’a rien de remarquable. — C’était un archiprêtré avant la première République; lors de l’organisation des départements, il devint chef-lieu d’un canton de l’arrondissement de La Rochefoucauld, et garda ce titre jusqu’à l’an VIII. Le canton fut alors démembré; partie fut réunie au canton de Saint-Amant-de-Boixe et partie à La Rochefoucauld. Jauldes, déchu de sa grandeur précaire, ne fut désormais qu’un simple chef-lieu de commune.

Source : La Charente communale illustrée, d’Alcide Gauguié.