Le 23 août 1776.

Mon adorable Maître,

Je suis toujours heureux, la provision de philosophie que j’ai fait et que je faits journellement en ne cessent de vous lire a rendu ma maison le séjour de lunion et du bonheur.

— Mais où sont les héros digne de la mémoire,

— Qui sachent mériter et mépriser la gloire ?

Mais où sont les mortels qui n’ont rien à désirer ? Le temple que vous habitez homme divin, l’œuvre de vos mains, ce lieu chéri et le seul où le fils de Jupiter et de Latone puisse se plaire aujourd’huy, ce temple enfin où ce dieu de la poésie c’est retiré ne voulent plus répondre qu’à lhomère moderne, est le seul objet qui soppose dans ce moment à ma parfaite félicité, Non, mon cher Maître, elle (ma félicité) ne peut être complette que lorsque j’aurai fait un pèlerinage auprès de celui qui, comme un second prométhée, a dérobé le feu du ciel, pour chasser de dessus la terre les ténèbres dont l’impitoyable superstition l’avait couverte. J’arrive d’une province où elle est encore bien enracinée (du Périgord), je ne puis me refuser à vous parler d’un dîné que j’ai fait chez le Comte de Cherval, qui a 92 ans, avec mr le marquis de Verteillac qui en a 96, un Curé qui est du même âge et trois demoiselle dont la plus jeune a passé 18 lustres. Le hazard m’y a fait recevoir une lettre de mr de l’Amichaudiere, conseiller d’honneur du parlement de Paris qui entre dans sa 98me année, et qui écrit comme Atticus.

Croiriez vous bien qu’il est fort dificile de faire un diné plus gai que l’a été celui là, que chacun y a à peu près bu sa bouteille de Champagne, et que la séance a fini par la lecture de deux chants de la Pucelle. J’ai promis mon cher maître, à ses messieurs, de vous rendre ce compte exact de ce qui s’est passé.

Ma lettre se ressent d’un peu de douleur de goute que j’ai au poignet, et du départ du courier. Il vous appartient d’être le plus indulgent de tous les hommes, et d’avoir des disciples qui sacrifieraient s’il le falait leur vie pour vous. A ce titre mon adorable maître reçevez l’assurence la plus inviolable de mon parfait dévoument et mon respect infini.

Source : Œuvres complètes de Voltaire.