À la veille de la Révolution, Saint-Mary apparaît comme une seigneurie prospère, gérée par un intendant, et dont les droits seigneuriaux étaient encore parfaitement vivaces. Le juge, le procureur fiscal et le sergent jouent un rôle actif dans le fonctionnement de la justice châtelaine. La procédure de «retrait féodal», très vieux droit de préemption seigneuriale, est encore utilisée par le marquis de La Soudière en 1786. La seigneurie s’étend, comme au Moyen-Age, principalement dans les paroisses de Saint-Mary et des Pins, avec des emprises à Chasseneuil, La Rochette, Sainte-Colombe, La Tâche et Cellefrouin. Elle représente en surface 4,400 journaux répartis en 76 mas ou métairies. La réserve seigneuriale est forte de 1,322 journaux à Saint-Mary (dont 7 à 800 journaux de forêt), plus une cinquantaine de journaux dans les paroisses de La Tâche, Sainte-Colombe, les Pins et Chasseneuil (les biens propres que possède le marquis de La Soudière à Cellefrouin ne sont pas connusà. La seigneurie rapporte alors environ 10,000 livres par an, ce qui la situe parmi les bonnes terres de la province (1).

Louis de Regnauld, marquis de La Soudière, seigneur de Saint-Mary, était né en 1747 au château de La Soudière. Il avait été mousquetaire du Roi puis capitaine de cavalerie au régiment royal et avait épousé le 30 décembre 1783 Madeleine Elisabeth de Maulmont, d’une très ancienne famille du Limousin, fille de Jean Léonard de Maulmont, baron du Chalard et de Marie Blondeau de Laurière. Il avait eu six enfants dont quatre étaient encore vivants en 1789. À Angoulême vivait sa cousine germaine Catherine Regnauld de La Soudière, qui avait épousé en 1761 Anne François, marquis de Chauveron, lieutenant général d’Angoumois et gouverneur d’Angoulême. Ils vivaient sur un pied brillant et étaient assez fréquemment à Paris. Catherine avait été présentée à la Reine en 1777 et son mari, reçu aux honneurs de la cour en 1784.

François de Regnauld, comte de La Soudière, baron de Roissac, cousin germain de Louis, avait sensiblement le même âge que lui. Né en 1749 à Saint-Domingue, il avait été envoyé en France à l’âge de deux ans et élevé avec son cousin Louis. Ils avaient servi ensemble dans la Maison du Roi, comme mousquetaires de la 1ère compagnie «servant à la garde ordinaire du Roi». François s’était établi en épousant le 11 juin 1776 Marie Hyacinthe de Beauchamp, fille unique de Haut et Puissant seigneur Pierre Joseph de Beauchamp, baron de Roissac, Gensac et autres lieux, et de Marie Hyacinthe d’Hauteclaire de Gourville. Sa femme lui avait apporté la terre et baronnie de Roissac (Angeac-Champagne, Charente) que sa femme tenait par succession des La Rochefoucauld. Roissac était aussi une belle terre, avec tous droits de haute, moyenne et basse justice. Elle rapportait 12,000 livres par an.

La Révolution devait porter un coup très dur aux Regnauld de La Soudière (2). Aux assemblées de la noblesse de 1789, les deux cousins furent élus tous les deux comme commissaires chargées de la rédaction des cahiers de doléance de leur ordre. François fut en outre désigné premier des quartre commissaires chargés de la vérification de l’état noble des membres de l’assemblée. Mais, en 1792, le marquis de La Soudière décida d’émigrer, pour rejoindre l’armée des princes. En son absence, sa femme fut dénoncée, arrêtée, enfermée à La Rochefoucauld, puis transférée à Paris et condamnée à mort par Fouquier-Tinville le 16 messidor an II (4 juillet 1794). Elle fut guillotinée le jour même et son corps jeté dans la fosse commune de Picpus (3). Ses tout jeunes enfants furent alors recueillis par leur tante Françoise de La Soudière, l’ancienne prieure des carmélites, qui vivait terrée à Angoulême et devint prseque leur mère adoptive. Inutile de préciser qu’entre temps, la seigneurie de Saint-Mary avait été séquestrée puis vendue comme bien national. Les meubles aussi furent vendus, peu avant le château.

François, baron de Roissac, resté en France, échappa au pire. Mais la suppression des droits féodaux le ruina presque complètement. En effet, la seigneurie de Roissac comprenait assez peu de biens propres, dont il ne fut pas spolié, mais surtout des revenus composés de droits féodaux et de rentes foncières (4). Cependant son beau-frère, Jacques de Lignac (5), fut quant à lui déclaré suspect et guillotiné le 13 pluviôse an II (1er février 1794).

Notes :

1. Les revenus de la seigneurie de Saint-Mary furent évalués par l’administration pour l’année 1792 à 9,860 livres. (Arch. Charente J 517). À titre de comparaison, le comté de Montbron rapportait 11,992 livres en 1780. D’autres seigneuries, considérées pourtant comme de « bonnes terres », sont d’un rapport nettement plus faible : 3,200 livres pour la seigneurie de Charras (au seigneur de La Laurencie) ; 4,950 livres pour la seigneurie de Maumont (au marquis de Montalembert). Cette dernière terre avait appartenu au XVIe siècle aux Regnauld.

2. On ne traitera pas ici des branches de Scée-Pondeville et de Maumont-la-Richardie, qui s’éteignirent au début du XIXe siècle.

3. Les circonstances de l’arrestation et la fin tragique de la marquise de La Soudière sont bien connues. Voir notamment Cl. Gigon, Les victimes de la Terreur du département de la Charente, Angoulême, 1866.

4. Le château de Roissac devait être vendu en 1804.

5. Jacques Babin de Lignac, chevalier, seigneur de l’Age-Coué, avait épousé en 1786 Agathe de La Soudière, sœur de François.

(Société archéologique et historique de la Charente, 1999)